J’ai travaillé deux fois dans des agences de publicité, qui emploient maintenant des programmeurs comme moi dans leurs départements « interactifs ». Pour un programmeur, le principal avantage à travailler dans ce domaine, c’est qu’il pourra y côtoyer des filles jeunes et jolies (beaucoup plus que chez CGI, mettons). Le désavantage: les projets ne sont guère stimulants. Prise dans l’étau des budgets marketing trimestriels, une agence arrive rarement à convaincre son client d’investir dans un projet web à long terme. Alors on fait des « micro-sites », des bannières, des « email blasts » et des concours « viraux » (Invite tes amis à participer et augmente tes chances de gagner!).
Les belles filles, c’est le fun, mais on en vient assez vite à chercher un sens à son travail. Il faut trouver sa motivation ailleurs que dans les produits finis. Il y en a qui décident de se concentrer sur l’amélioration de leur métier, d’autres qui mènent des projets parallèles plus stimulants et il y a aussi ceux qui s’en foutent, tout simplement. Moi j’aimais bien jouer le cynique:
- « La pub, on n’a jamais prouvé que ça marchait. »
- « Vous surestimez tous l’importance et l’impact de votre travail. »
- « Mettons qu’on livre ça une journée en retard, est-ce que des enfants vont mourir de faim? »
Avec cette attitude et mes réputés problèmes de sommeil (soit je rentre à 11h00, soit je dors sur/sous mon bureau dans l’après-midi), j’avais intérêt à être bon dans mon boulot si je voulais continuer à me rincer l’oeil durant les jours de semaine.
Mon personnage de cynique (« Tu sais, moi j’aime pas ça, la publicité. ») était un peu mensonger. En fait, j’aime bien la publicité. Mes parents vous confirmeront que, petit enfant, je criais avec joie les commanditaires de La soirée du hockey mentionnés au début de l’émission: « FORD DU CANADA! GENERAL ELECTRIC! LA BRASSERIE MOLSON! » Jeune adolescent, j’allais chaque année voir au cinéma la rétrospective des Lions d’Or de la publicité télé, avec l’espoir boutonneux d’y voir quelques seins.
Non, ce n’est pas que je n’aime pas la publicité. C’est que je n’y suis plus exposé, tout simplement. Je n’écoute pas la radio, je ne lis plus que dans des livres ou sur Internet (où, comme tout le monde, je suis devenu aveugle aux pubs) et je télécharge mes émissions de télévision préférées auprès de sources anonymes qui ont pris soin d’en retirer les pauses publicitaires. Pour vous donner une idée, j’ai entendu cette annonce pour la première fois hier après-midi, alors que je visitais mes anciens collègues chez Revolver 3:
Si on en croit cet article, ça veut dire que je suis de « ceux qui habiteraient dans une caverne ». Apparemment, tout le monde au monde est déjà écoeuré jusqu’à la moelle de ce jingle diablement efficace. Je vais en écoeurer du monde en chantonnant « 12 pouces, 5 dollars » dans les prochaines semaines…
Je ne suis pas un chercheur en la matière, mais je crois fermement que ce qui fonctionne le mieux dans la publicité, c’est la répétition. Peu importe le message, s’il nous est martelé à longueur de journée, on va finir par le retenir. Ou du moins, en retenir une partie. Parce que, comme avec les bannières web, il y a toujours le danger d’insensibiliser le public à son message. J’ai souvent entendu des gens parler d’une pub en particulier, tout en se trompant carrément sur l’annonceur: « Les pubs « Zoom zoom » de Honda, ça me tape vraiment sur les nerfs. »
S’assurer qu’un message publicitaire soit entendu/lu/vu assez souvent par la « clientèle cible », c’est ni sorcier ni très créatif. Ça s’appelle du placement média et c’est le département le plus lucratif dans toute agence de pub. Comme j’aime les mots et les idées, je suis plus attiré par la création du message lui-même.
Après quelques années de sevrage publicitaire, je trouve souvent les messages publicitaires, heu, comment dire, pas très bons. Ça me fait penser à ma relation avec McDonald’s. Tant qu’on y va régulièrement, on ne se donne pas trop la peine de goûter ce qu’on y mange. C’est pas cher, rapide, ça nourrit. Comme ça goûte toujours la même chose, on trouve ça réconfortant, voire bon. Mais si on se passe de McDo pendant un an ou deux et qu’on y retourne, on ne comprend plus trop pourquoi on mangeait là. C’est pas bon, pas vraiment rapide et ça nourrit pas bien. En perdant l’habitude, on a gagné une nouvelle perspective. C’est pareil avec la pub. En s’extirpant de l’exposition constante à celle-ci, on en vient à la regarder de l’extérieur et son message apparaît étrange. « 12 pouces, 5 dollars », vraiment? Il va y avoir plus de monde au Subway parce qu’il y a 5 (trop) gros sandwiches à 50 cents de moins que d’habitude?
En tant qu’amant des mots, j’ai tendance à préférer les concepts plus subtils, ludiques. Littéraires, presque. Comme les créateurs de pub me ressemblent un peu et qu’ils ont tendance, comme tout le monde, à imaginer que tout le monde leur ressemble, ils aiment eux aussi beaucoup jouer du mot. Le seul médium publicitaire qui me rejoint encore, c’est l’affichage. Deux exemples récents d’affiches qui m’ont fait sourire:
- Grand panneau pour un dealer de chars (Ford, je pense bien):
Fini les con-
cessionnaires - Sur un camion de livraison de Liberté, sous une image de leurs 5 sortes de yogourt nature:
Tous les goûts sont dans le nature
Le « le » était souligné sur le camion, c’est pas moi qui mets l’accent.
Quand j’ai vu l’affiche du concessionnaire, mon impression a été la suivante: « Booooon. Enfin de la publicité intelligente! » Je me rappelle en avoir discuté avec mon frère, qui oeuvre encore comme rédacteur publicitaire à l’occasion. Lui aussi trouvait que c’était vraiment bien, que ça faisait changement des annonces typiques qui parlent surtout de rabais ou de la taille de l’inventaire (Albi le GÉANT!). Mais je me posais la question: nous on trouve ça bien, mais le public cible (l’acheteur de Ford, ne l’oublions pas) est-il sensible à ce genre de jeu de langage? Que va-t-il retenir de ce message? Probablement le mot « con ». Pas le nom du concessionnaire. D’ailleurs, je ne m’en rappelle plus moi-même.
Hier matin, j’ai vu le camion Liberté dont je parle plus haut. J’ai souri et je me suis encore dit: « Booooon. Enfin de la publicité intelligente! » Puis j’ai réfléchi un peu plus et je n’étais plus sûr du tout qu’en publicité, intelligence rime avec efficacité. Si on a jugé bon de souligner l’article « le », c’est peut-être que le jeu de mot est trop subtil, trop « intelligent », trop « clever ». Qu’est-ce qu’on va retenir de cette annonce? Quelle influence aura-t-elle sur la clientèle cible quand celle-ci sera devant l’étalage de yogourts à l’épicerie? Y en aura-t-il une?
La pub télé de Subway à laquelle j’ai été exposé l’après-midi même a poussé ma réflexion plus loin. Comme je ne suis pas le seul à penser que la répétition fonctionne, les publicitaires cherchent à diffuser leurs messages par tous les moyens possibles et notre vie est de plus en plus remplie de publicité. Dans cette cacophonie grandissante, chaque annonceur, chaque message publicitaire se bat pour une petite place dans la mémoire de son public cible. Dans ce contexte, l’efficacité d’un message publicitaire devrait être jugée selon seulement deux critères:
- Le message a-t-il réussi à augmenter sa diffusion (et donc sa répétion) par lui-même?
C’est ce que les publicitaires appellent maintenant du « viral » et qu’ils observent surtout sur Internet. Mais ce n’est pas d’hier que la publicité peut obtenir une seconde vie en dehors des canaux pour lesquels elle paye. L’important, c’est que lorsque le message obtient une diffusion supplémentaire à celle fournie par l’achat média, il a accompli son travail. Il n’y a pas de recette miracle pour en arriver là (mais un message vraiment poche est souvent efficace; pensez à Au bon marché…) et c’est somme toute assez rare, donc d’autant plus profitable. - Le nom de l’annonceur a-t-il été retenu par le public cible?
Ça peut avoir l’air nono, mais c’est un échec de la publicité beaucoup plus courant qu’on ne le croit. Si le concept est très fort, ce qui est souvent le cas si le premier objectif est atteint, il peut occuper toute la place dans la mémoire du public, aux dépens du nom de l’annonceur. Si le célèbre « Ah ha! » n’avait pas été suivi immédiatement d’un « Famili-Prix » lancé à toute vitesse, si on s’était contenté d’afficher le nom de l’annonceur sans le dire, je ne suis pas certain que cette campagne aurait été aussi efficace.
Selon ces deux critères, le message « 12 pouces, 5 dollars » de Subway est un succès probant. D’abord, il a fait énormément parler de lui en dehors de sa diffusion payante à la radio et à la télé. Du média gratuit, c’est le premier signe de succès. Ensuite, ce qui est retenu du message, c’est le jingle et son refrain de 4 mots. Le nom de Subway n’y est pas mentionné, mais tout client un peu habitué au menu de Subway (la cible) sait que les sandwiches y sont disponibles en 6 ou 12 pouces. L’expression « 12 pouces » sera suffisante pour qu’il associe le refrain à l’annonceur. Le lien avec l’annonceur est établi dans la mémoire du consommateur. 2 sur 2. Bingo.
Ce succès doit beaucoup à la qualité accrocheuse de la musique. Comme toutes les agences commandent un « jingle accrocheur » à leur musicien et que très peu l’obtiennent, on ne peut pas parler d’une recette qui se reproduirait facilement. Il s’agit plutôt d’un heureux hasard. C’est souvent le cas des meilleures créations. Les publicitaires devraient songer à dépenser moins dans chaque message et à produire plus de messages différents pour augmenter la probabilité de créer de tels hasards. D’ici là, tout le monde en choeur, sans narrateur:
12 pouces 5 dollars! c’est presque plus entraînant que le thème musical de Maisonneuve en direct!
Bon texte! et j’aime bien les nouveaux éléments graphiques de ton blogue.
Merci pour tes compliments, Jean-Mi. Ton opinion compte beaucoup pour moi. Je pense que je vais garder ce « design » un petit bout.
Alex, j’adore tes articles. C’est très bien écrit :)
Je vais envoyer le lien à mes collègues, créateurs du «5″ – 5$». Le but était de faire du viral avec du traditionnel :D Je crois que c’est réussi!
À bientôt j’espère. Jane
Merci Jane, c’est gentil. À bientôt, oui!
Super l’article!
Je suis tombé là-dessus tantôt. Comme quoi la pub peut également souvent être très divertissante!
C’est un concessionnaire Suzuki, les affiches «Fini les con – cessionnaires» et «Vendeurs de char – me». Ville-Marie Suzuki, si je ne m’abuse. J’ai envie d’y aller pour voir s’ils agissent comme tous les autres concessionnaires une fois que ut es rendu là.
(C’est souvent le problème de la pub, je trouve, les promesses non tenues.)
Comme le dit Bob Hoffman (The Ad Contrarian), la job de la pub c’est de t’amener dans le magasin ou de te faire acheter une première fois. Ensuite, faut que le produit suive.
Mon neveu adore:
Ahahah , super article mon vieux ! Sérieux jmennuis dtoi il va falloir se faire une ptite date un bon moment donnée. Attention à toi , men jveux pas te perdre. Peace.