Note: ce texte est un exercice d’écriture proposé par Martin Winckler.
Il part aujourd’hui. Je vais manquer ça. Maudite labyrinthite. Je me suis levée ce matin et je suis littéralement retombée par terre. Moi qui avais tout planifié.
J’avais imaginé que ça commencerait comme d’habitude. Il passerait près de mon bureau, m’effleurerait la main de son doigt. La première fois qu’il l’avait fait, j’en avais frissonné. On ne me l’avait pas présenté, mais je l’avais remarqué tout de suite. Probablement un stagiaire, que je me disais. Grand, blond, les gestes doux et précis quand il mangeait. Il avait toujours un lunch, dans des petits plats tout propres. Préparé par sa mère? Je m’en foutais, c’est lui que je dévorais des yeux. Il a dû remarquer.
Puis il continuerait son chemin, vers un de nos endroits de prédilection. Au début, on se servait surtout de la toilette. Celle des handicapés, qui est privée, qu’on peut barrer et qui nous offre de pratiques barres de soutien. Tout au long de l’été, on avait trouvé d’autres bons lieux. Aujourd’hui, ce serait la cage de l’escalier qui descend au 18e. Un vestige d’avant les compressions, quand nous avions deux étages. Maintenant elle ne sert plus à rien: le 18e est barricadé. On ne peut pas s’y embarrer, mais plus personne ne s’y rend, alors c’est idéal pour nous. Une minute plus tard, je le rejoindrais.
Ça se passait toujours en silence. Peur d’attirer l’attention? Gêne mal placée? J’ignore encore son nom. Je n’oserais pas m’informer à des collègues; ça ferait jaser. J’imagine qu’on jase déjà, mais je préfère ne pas y penser. Aujourd’hui, pour la première fois, j’allais lui parler. « Je veux continuer à te voir. » Il aurait été d’accord, bien sûr. Nous aurions pris rendez-vous. « Chez moi ou chez toi? » Chez moi, évidemment. Il habite bien chez sa mère. Demain? « Demain. »
Ça ne durait jamais longtemps. Une dizaine de minutes, pas plus. Au fil de l’été, nous avons vécu une longue première nuit d’amour, découpée, décuplée. Lui que j’aurais cru hardi, violent presque, était plutôt timide au début. Peut-être était-il encore vierge? Chaque jour, il me revenait plus habile, plus vaillant. Je le moulais à mes envies. À la fin, il me faisait jouir plus souvent que je pouvais lui rendre le pareille.
Demain, il serait venu chez moi. Nous aurions pris tout notre temps, pour une fois. Nous aurions pu rassembler tous les morceaux. Les mains, les langues, les sexes, sans interruption, pendant des heures. J’aurais joui comme je n’ai jamais joui. Et il aurait joui lui aussi, avec moi, en moi. Comme je l’attends depuis des mois. Enfin.
À la place, je suis clouée au lit, la tête qui tourne, le sexe qui coule, qui pleure. Et j’espère qu’il me cherche, qu’il s’inquiète. J’espère qu’il avait fait des plans comme les miens. Qu’il veut continuer à me voir, lui aussi. Qu’il n’est pas en train de me ranger avec les autres bons souvenirs de son premier stage. J’espère qu’il s’informe de moi. Qu’on lui donne mon adresse courriel, quelque chose, n’importe quoi.
Que ce ne soit pas fini.
Bien écrit, mais de quoi elle souffre ?
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J’aime beaucoup Martin Winkler, est-ce que tu as déjà écouté ses podcasts sur Arte Radio ? – http://www.arteradio.com/son.html?6469
Elle souffre d’une labyrinthite.
Je ne connaissais pas ses podcasts. Merci du cue!
Je ne savais pas que ça existait, je pensais que c’était un jeu de mots…