Dans la salle d’attente il y avait une belle fille. Ça en prend toujours une.
Il y a deux genres de belles filles: celles qui le sont, et celles qui veulent l’être. Les premières ne peuvent y échapper, les gars les remarquent quoi qu’elles fassent, portent ou disent. Les secondes doivent travailler plus fort pour attirer l’attention: entraînement, vêtements, coupe de cheveux, maquillage, etc. Elles ne sont pas désagréables en partant, mais pour vraiment faire de l’effet, elles doivent « s’arranger ». Et c’est à peine moins efficace. Même que souvent leur façon de s’arranger peut communiquer un peu de leur personnalité, ce qui aide les stalkers comme moi à faire une sélection.
Cette fille était dans la deuxième catégorie, mais elle était bien arrangée. Peut-être un petit peu trop à mon goût, j’aime pas vraiment quand il y a trop d’accessoires qui pendent, qui clinkent-clinkent ou qui débordent d’une sacoche, mais bon elle était vraiment la meilleure option pour une vue agréable dans cette salle. Évidemment je me suis assis dans la même rangée qu’elle, alors il n’y avait pas moyen de faire ça discrètement. J’ai quand même noté qu’elle avait l’air en pleine forme, se tenant bien droite dans sa chaise avec son livre, et je me suis demandé ce qu’elle faisait là. Elle a été appelée bien vite.
Après avoir raconté mon histoire trois fois, j’attends qu’un-e spécialiste vienne me voir dans une salle d’examen de l’urgence. Je suis pas loin de la réception, ou ce qui sert de réception, et j’entends tout ce qu’ils disent. Ça m’impressionne à quel point ils se foutent de ce que les patients peuvent écouter.
À quelques reprises, quelqu’un veut placer un patient dans la G, et quelqu’un d’autre lui rappelle qu’il y a quelqu’un dans la G. Je finis par comprendre que c’est moi. Ils m’oublient tout le temps, parce que la porte est quasiment fermée, pour que je puisse pleurer dans un semblant de solitude. Parce que je suis un bon garçon, j’essaie de placer un de mes pieds dans le cadre de porte pour qu’il soit visible de l’extérieur.
J’entends parler à quelques reprises d’un cas de dépression majeure, et j’imagine que c’est moi. Finalement j’entends la délivrance, une infirmière qui parle à une autre: « Enfin! J’ai de la job pour toi. D’abord on a deux transferts en psychiatrie, dans la 6 et la G. Commence par la G. » Et on vient me chercher. J’étais bien dans la G.
Je me retrouve dans une autre salle d’attente, celle de l’urgence psychiatrique. Salle, c’est un grand mot, il s’agit de quelques chaises dans le corridor. Le deuxième transfert arrive pas longtemps après moi, et c’est la belle fille de tantôt. Encore une fois, nous nous retrouvons assis de telle façon que je ne peux pas vraiment la regarder sans que ça paraisse. J’ai envie de lui parler, mais comme souvent dans ces cas-là, les mots dans ma tête sont en anglais: « I don’t know what you’ve got, but you still look good. » J’arrive pas à traduire « you still look good » de manière satisfaisante. Et ça m’arrive une fois aux 5 ans d’aborder une étrangère. Je pense quand même que ça serait comique à raconter si on en venait à se faire poser la question: « Comment vous vous êtes rencontrés? », et j’en reste là.
Un préposé vient nous porter à elle et à moi un petit verre et une éprouvette pour qu’on teste notre pipi. Ensuite, il lui demande s’il peut prendre ses effets personnels. Elle veut savoir pourquoi, il lui dit que c’est comme ça. J’imagine que c’est un peu comme en prison, ils ne veulent pas que tu attentes à ta vie, alors ils t’enlèvent tout ce qui peut être dangereux. Clairement, ça l’embête beaucoup de devoir se départir de tout son stock. Elle sera moins arrangée, plus nue. Elle négocie avec le préposé pièce par pièce, il concède seulement le livre. Puis vient la question: « Est-ce que je peux au moins garder mon cellulaire? » Le préposé lui rappelle, fermement mais poliment, que les cellulaires sont interdits à l’hôpital, et que le sien est déjà supposé être fermé.
Moi j’ai éteint le mien tout de suite en arrivant. C’est écrit en gros à l’entrée. Normalement, je déteste les gens qui se croient au-dessus des lois et des règlements. Je déteste aussi les filles qui sont esclaves de leur téléphone cellulaire. Mais dans cette situation, je n’ai plus l’énergie de détester, et je la trouve cute pareil.